dimanche 17 juin 2012

carnet de Corée de Serge Delaive

Reçu hier un livre imprévu... de la part d'une maison d'édition...

Une bonne occasion pour découvrir un auteur belge... et un catalogue séduisant.

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Serge Delaive | Carnet de Corée.

À partir d’un carnet de voyage remonté à la surface et de photographies prises sur place durant l’été 2009, Serge Delaive nous invite à le suivre lors de son troisième séjour dans ce pays que l’on nomme par défaut Corée du Sud, à la fois tellement accessible et ouvert, mais aussi « secret le mieux gardé d’Asie », comme le proclame la sagesse populaire. Lors des deux précédents séjours, l’auteur avait parcouru le pays avec sa compagne, native de Séoul, membre de cette diaspora d’enfants adoptés au cours des années 1960 et 1970, répandue dans tout l’Occident. Cette fois, le couple emmène fils et fille à la découverte de la moitié de leur sang ainsi qu’à la rencontre de leur grand-mère naturelle retrouvée cinq ans plus tôt. 
Ancré dans l’impossibilité et la disponibilité constitutives du voyage, ce livre nous transporte touche par touche dans les traces de l’auteur et de sa famille, enfermés dans leur différence, réceptifs aux différences, parallèles à la Corée du Sud, marche à pas de loup vers ce pays qui se refuse avec une affabilité tout orientale et dont l’attrait complexe mérite largement d’être abordé.



Serge Delaive est un écrivain belge de langue française, né à Liège en 1965.
A la fois poète, romancier et photographe, aîné de quatre enfants, Serge Delaive est le fils d'un médecin et d'une historienne1. Après des études littéraires et de journalisme à l'Université de Liège2, il fonde et co-anime avec les poètes Karel LogistCarl Norac et Carino Bucciarelli la revue (en 1998) et les éditions (en 2000)Le Fram, tout en enchaînant des emplois de courtes durées comme professeur, moniteur de voile ou logisticien pour Médecins sans frontières1.
En 2009, il remporte le Prix Rossel pour son roman Argentine.
Sa première exposition de photographies se tient à Liège en 2007. Suivent Amay puis Paris à deux reprises.



Carnet de Corée.

Extraits


    L’armoire du salon déborde. J’ouvre la porte du meuble de frêne laqué, héritage d’Albertine, ma grand-mère maternelle. Le fouillis entassé en strates sur les étagères s’étale sur le tapis. L’inertie à nouveau vaincue, dégringolée d’un étage ou deux. Plus le choix ; il faut dégager l’amoncellement qui encombre le passage. Scindé en tas distincts : le premier contient ce qui volera à la poubelle tandis que le second, beaucoup plus modeste, s’augmente peu à peu de ce qui retournera dans l’armoire, en ordre cette fois. Avant que, ellipse après ellipse, un autre capharnaüm ne naisse.
  Extrait des décombres, parmi emballages, couvertures de cahiers, pots de couleur ou de pâte à modeler, vestiges d’un bataclan hétéroclite, le carnet remonte à la surface. Intrigué, je l’ouvre à la première page, déroule des annotations sans intérêt. D’habitude, mes rares carnets manuscrits atterrissent dans un tiroir de la pièce qui fut autrefois mon bureau, à l’étage. Là-bas, ils dorment paisiblement.
Comment ce carnet précis a-t-il abouti dans l’armoire ? Poursuivre le mouvement archéologique. Je feuillette, atteins une suite ininterrompue de paragraphes séparés par des astérisques, alignements de trois étoiles à huit branches, semblables à la constellation des Tres Marias dans le ciel antipodique. Je remonte le flot, entre croquis, lignes illisibles, ratures et corrections. Les pages suivantes contiennent les impressions recueillies durant notre voyage en Corée, trois ans plus tôt. Sandra, Sann, Célia et moi, en allés vers un séjour étrange. Pour les enfants, une première au pays d’une moitié de leur sang. Je relis quelques feuillets, avalanche à travers le temps et la lumière. Puissance magique de ce que l’on a effacé, remisé dans les catacombes de la mémoire, réapparu grâce à la médiation de l’encre et des traits hâtifs lestés sur le papier.
     Quelques mois plus tard, après avoir abandonné le cahier sur le plateau de l’armoire, je le soupèse à nouveau, m’installe devant l’ordinateur et recopie les notes, manière de lutter contre la décomposition qui guette. Reste à combler les vides entre les lignes. Illustrer des moments de cette paléographie dérisoire mais sincère. Des photos. Elles compléteront peut-être le propos, éprouveront une densité qui échappe aux mots, surprendront quelques fragments d’indicible. La démarche du crabe. Témoignages figés, univoques du point de vue sensoriel, de ce qui a pourtant eu lieu. Questions rabâchées : où s’en vont les moments que nous avons vécus ? En quoi se transforment-ils ? Pourquoi tenons-nous tant à en garder trace ? Quelle est la signification de l’écartèlement que nous imposons aux courbes du temps et de la lumière, à ce que notre esprit touche aux confins du présent, les étendues perdues que nous nommons passé ? Passé : un fourre-tout, une valise remplie à la hâte, une miellée de Haute Lesse aux essences multiples : non pas ce miel de printemps au goût amer de pissenlit, non pas cet autre miel de colza, mais un nectar aux saveurs mêlées de hêtre, de sapin, de tilleul, de blé tendre... Et, sous forme d’exhumation, une piètre tentative de réponse.

***

     C’est un carnet de marque Moleskine, imitation à la mode des cahiers légendaires. Format rectangulaire, vingt-et-un centimètres sur treize, cent vingt feuillets d’un blanc crémeux non ligné. Sobre. Muni d’un élastique et d’un marque-page noirs, couleur de la couverture cartonnée. Ce carnet, je me le suis procuré dans une grande surface. Un achat compulsif. Mais aussi, sans doute, une injonction muette. Comme si, moi qui ne note rien, j’allais me mettre d’un coup à écrire pendant la pause repas ou les activités des enfants, inspiré par la présence des feuilles vierges. Pendant des moments perdus dont je ne discerne aucune trace. Une illusion matérialisée par un rectangle sombre. J’ai inscrit la date d’achat au crayon sur la page de garde : octobre 2004. Hormis un poème, l’ébauche d’un second suivie par la description d’un rêve où apparaissait une inconnue dénommée Sofia Gallegos Corti, rêve qui donnerait naissance à un livre, le carnet ne s’est jamais rempli. Il a traîné au fond de ma mallette pendant cinq ans.


***
    
Lorsque j’ai bouclé mes bagages le matin du départ, j’ai répondu à une nouvelle impulsion qui me commandait de le repêcher et de le fourrer dans mon sac à dos antédiluvien, compagnon de toutes mes échappées.
Le souhait émis en 2007 se concrétise enfin. Nous avons réussi à économiser la somme nécessaire. Le 14 juillet 2009 nous prenons le train jusqu’à Bruxelles, puis le Thalys jusqu’à l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle. Nous quatre. Sandra, Sann, notre fils de douze ans, Célia, notre fille de bientôt huit ans, et Sergueï ici présent. Façon de parler.

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