vendredi 1 juin 2012

Jorge Luis Borges

 Portail de l’AmériquePortail de l’Argentineune page, un auteur... littérature étrangère contemporaine
Amérique, Argentine


couverture du numéro 520Jorge Luis Borges, un sphinx insaisissable

Figure majeure dont le nom a donné l’adjectif « borgésien », imposé à toute forme d’invention littéraire un tant soit peu conceptuelle, l’auteur de La Bibliothèque de Babel reste insaisissable. Le Magazine Littéraire se penche sur le destin et l’oeuvre de l’écrivain argentin qui, comme Shakespeare tel qu’il le dépeignait, «ressemblait à tous les hommes. Au fond de lui-même, il n’était rien, mais il était tout ce que sont les autres, ou tout ce qu’ils peuvent être.»
De qui Borges est-il le nom ? D’un représentant du modernisme, nourri aux avant-gardes européennes « et qui a apporté en Argentine l’inquiétude d’après guerre », comme l’écrivait Robert Cahen Salaberry en 1930 dans le Mercure de France ? D’un utopiste pour qui la littérature est un tout, une bibliothèque unique, mais infinie, comme le proposait Gérard Genette ? D’un fabricant postmoderne de labyrinthes, apôtre d’un « exercice problématique de la littérature », comme le voulait Alain Robbe-Grillet ? D’un philosophe idéaliste défendant « cette doctrine qui a sa base dans l’idéalisme de Berkeley et qui nie l’existence du Moi et de ses produits : le Temps et l’Espace », comme le suggérait lumineusement Valery Larbaud dès 1925 ? D’un habile manipulateur qui survivra, comme le voulait Joyce, dans le travail herméneutique que donnent encore pour des siècles aux critiques ses trompe-l’oeil et ses cryptographies ? D’un poète de l’ultraïsme argentin ? D’un romancier de la pampa ? D’un expérimentateur de dispositifs destinés à remplir les cases blanches de la théorie littéraire structurale, à enivrer Deleuze et à libérer l’imagination formelle de ses successeurs écrivains - au point que « borgésien » soit devenu en littérature une épithète courante pour caractériser toute forme d’invention conceptuelle ?
Borges - le nom d’un inspecteur des marchés aux volailles de Buenos Aires, selon l’emploi que lui avait attribué la dictature ? D’un auteur si inquiet et mégalomane qu’il nous invitait à réfuter l’existence des particularités individuelles au nom de la métempsycose et à croire en l’immortalité ? D’un compilateur froid, mais infiniment lettré, dissimulant dans l’abstraction son insensibilité et ne réfutant l’idée d’auteur que pour mieux jouir de la célébrité ? D’un symbole national, mais dont les tropismes sud-américains, sincères ou affichés (le « Sud », la violence des rues, le tango), ne laissent de troubler les Argentins ? D’un théologien dont les trésors d’érudition viennent souligner l’arbitraire de la réalité - et susciter le rire souverain de Michel Foucault dans l’ouverture des Mots et les choses ? Du jeune homme mélancolique que décrit Drieu la Rochelle en 1933 ou du vieillard aveugle réduit à faire d’un monde une forme de littérature combinatoire et de ses amis d’infatigables lecteurs, pour espérer y exister ? D’un funambule inspirateur de Roberto Bolaño, de Thomas Pynchon, de Georges Perec, de Wolfgang Hildesheimer - ou de Cervantès ? De l’inventeur d’Internet, dont la bibliothèque de Babel, toute de liens et d’échanges, offre par anticipation un admirable modèle ?
Le nom secret de Judas, d’un vagabond, d’un papillon rêvant d’être Borges, d’un Minotaure dépressif, d’un proconsul de Babylone, de Pierre Ménard, d’un savant sinologue, pour emprunter quelques figures à la bibliothèque borgésienne des fictions (que d’autres appellent l’univers) ? Borges, comme Shakespeare tel qu’il le dépeindra, « ressemblait à tous les hommes. Au fond de lui-même, il n’était rien, mais il était tout ce que sont les autres, ou tout ce qu’ils peuvent être ».
aucun souvenir de lecture, deux en attente dans ma PàL poussiéreuse...
Fictions
Fictions - Sans doute y a-t-il du dilettantisme dans ces Fictions, jeux de l'esprit et exercices de style fort ingénieux. Pourtant, le pluriel signale d'emblée qu'il s'agit d'une réflexion sur la richesse foisonnante de l'imagination. Au nombre de dix-huit, ces contes fantastiques révèlent, chacun à sa manière, une ambition totalisante qui s'exprime à travers de nombreux personnages au projet démiurgique ou encore à travers La Bibliothèque de Babel, qui prétend contenir l'ensemble des livres, existants ou non.

La multitude d'univers parallèles et d'effets de miroir engendrent un "délire circulaire" vertigineux, une interrogation sur la relativité du temps et de l'espace. Dans quelle dimension sommes-nous ? Qui est ce "je" qui raconte l'invasion de la cité dans La Loterie de Babylone ? En mettant en vis-à-vis le Quichotte de Ménard et celui de Cervantès, lit-on la même chose ou bien la décision de redire suffit-elle à rendre la redite impossible ?
Il n'est pas certain que l'on ait envie d'être relevé du doute permanent qui nous habite au cours de cette promenade dans Le Jardin aux sentiers qui bifurquent. On accepte volontiers d'être les dupes de cesArtifices, conçus comme le tour le plus impressionnant d'un prestidigitateur exercé.
Le livre de sable
Le livre de sable livre comporte treize nouvelles. Ce nombre est le fruit du hasard ou de la fatalité - ici les deux mots sont strictement synonymes - et n'a rien de magique. Si de tous ces écrits je ne devais en conserver qu'un seul, je crois que je conserverais Le congrès, qui est à la fois le plus autobiographique (celui qui fait le plus appel aux souvenirs) et le plus fantastique. J'ai voulu rester fidèle, dans ces exercices d'aveugle, à l'exemple de Wells, en conjuguant avec un style simple, parfois presque oral, un argument impossible. Le lecteur curieux peut ajouter les noms de Swift et d'Edgar Allan Poe. Je n'écris pas pour une petite élite dont je n'ai cure, ni pour cette entité platonique adulée qu'on surnomme la Masse. Je ne crois pas à ces deux abstractions, chères au démagogue. J'écris pour moi, pour mes amis et pour adoucir le cours du temps.


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